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La Tauromaquia de GOYA - Détail de l'eau forte n°19
Joselito el Gallo, "Gallito"
16 mai 1920 - Talavera de La Reina, petite ville insignifiante des environs de Madrid va passer à la postérité. Aucun journaliste, aucun photographe, aucun revistero
ne sont présents dans les arènes pour témoigner du drame qui va se jouer. Seuls les aficionados présents, atterrés, essaieront de raconter la sinistre histoire… Les cent ans de cette
mort tragique devaient être célébrés comme il se doit cette année 2020 au mois de mai. Mais c’était sans compter sur un fâcheux virus qui annula l’anniversaire. De
son vivant la personnalité de Gallito, ses immenses connaissances vont être occultées par un nouveau venu dont on parlera beaucoup car il incarne une tauromachie novatrice, c’est JUAN BELMONTE. On
va opposer Joselito et Belmonte alors qu’ils sont complémentaires. Joselito est le dernier torero de cette évolution dans l’Art Taurin du XIXème siècle, Belmonte est le premier du XXème siècle dans la tauromachie
moderne. Et pourtant on s’apercevra que la technique et la nouveauté font partie de Joselito. L’écrivain Paco Aguado en parle avec justesse et admiration dans
son ouvrage dédié à JOSELITO EL GALLO Rey de los toreros. Carrière courte mais intense de ce torero mort à 25 ans. Né le 8 mai 1895, il meurt le 16 mai 1920 sous la corne de Bailador
de la ganaderia de la Viuda de Ortega. Sa légende va naître alors qu’il n’était pas un personnage mythique. Il sera reconnu bien plus tard. Et pourtant que de techniques, de nouveautés, de savoir dans la tauromachie de
cet enfant prodige ! Il créa le toreo en rond et lié, âgé à peine de 16 ans. Ce qui a impacté chez les éleveurs qui commencèrent alors à vouloir « adoucir » le comportement
des toros afin qu’ils correspondent à ce « toreo en rond, qui répète ». Ils vont transformer le toro vers un physique plus aérodynamique. Le spectacle artistique va remplacer le combat dur et puissant
des toros de cette époque. Son capote était créatif, varié, il est à l’origine de nombreuses passes telles que le kikiriki, la larga cordobesa, et le fameux galleo « del
bù » remis au goût du jour par Morante « el genio de la Puebla » inspiré par Joselito. Joselito fut un visionnaire. Il se rendit compte que sa rivalité avec Belmonte
écartait des arènes bon nombre d’aficionados, car elles étaient petites à cette époque. Il fut à l’origine de constructions d’arènes plus grandes comme Las Ventas à Madrid, Séville,
Barcelone, Bilbao par exemple. Dans l’arènes la vedette était devenu Belmonte qui par son toreo moderne supplantait Gallito alors que Belmonte reconnaissait le génie et les capacités du
torero, sa supériorité et son poids sur les toros. Joselito fut, sans conteste, un enfant prodige de la tauromachie. Né dans une famille où les hommes sont toreros et les femmes « bailadoras
de flamenco » : sangre azul del flamenco gitano de Cadiz ! Il n’a que 5ans lorsque son père, régisseur de la Casa del Alba, meurt. Il est donc élevé par ses oncles et
ses deux frères toreros Fernando et Rafael el Gallo « le divin chauve ». Il va boire comme une éponge tout ce savoir taurin non appris dans les livres, videos ou encore écoles taurines, il apprend « sur
le tas ». Et quel apprentissage qui va révolutionner la tauromachie. Il toréera de nombreuses novilladas avant de devenir matador et de développer un toreo complet et fascinant. En 1915 son
premier « mano a mano » avec Juan Belmonte va donner le jour à cette rivalité instituée par les aficionados. Mais les deux hommes sont amis et s’apprécient énormément. Sa vie privée aura une influence à coup sûr sur sa trajectoire. Amoureux de Guadalupe, fille de l’éleveur Pablo Romero, il ne pourra l’épouser car ils ne sont pas du « même monde ».
Guadalupe ne se remettra pas de sa disparition et ne se mariera jamais, elle se consacrera à l’éducation de ses neveux. Sa mère très protectrice et influente va le fragiliser, après
sa mort Joselito va faire une dépression dont il ne se remettra pas. Il commence à être en butte à des critiques qui l’accusent de faire afeiter ses toros. Talavera fut pour lui un exutoire pour calmer l’opinion
défavorable. « Il s’offre pour toréer à Talavera » dit Paco Aguado. La veille il torée à Madrid et la tarde n’est que sifflets et broncas sans fin, les toros sont mauvais, il est traité
de voleur. Il est mal et ses conditions physiques ne sont pas très propices à la corrida du lendemain. Quelques temps avant il s’était confié à son ami Belmonte sur ses intentions d’arrêter sa carrière.
Talavera éclate, abasourdit l’aficion affligée comme toujours devant la tragédie alors qu’elle est souvent à l’origine du drame (pensons à Manolete ). J’ai découvert, grâce à Paco Aguado, cet immense torero peu connu finalement de nos jours et j’ai puisé mes sources dans son excellent ouvrage remis au gout du jour pour l’anniversaire :Joselito El
Gallo, rey de los toreros. La chicuelina - septembre 2020
LES TOROS DE GUISANDO
Toros de Guisando - IV et III ème siècles av. J-C
En ce temps de disette tauromachique, et/ou de reprise timide des corridas (épidémie oblige), nous pouvons toujours entretenir la flamme par des lectures innombrables sur le sujet, ou emmener nos pas sur des sites historiques tel que celui
des « Toros de Guisando ». Et pour cette excursion, sans oublier le masque, il faut prendre la route vers l’Espagne. La visite du site des Toros de Guisando nous entraîne vers ce passé historique durant lequel
les taureaux, symboles de richesse, étaient vénérés pour leur puissance, qualité célébrée par les hommes comme étant une qualité divine. Pour les aficionados d’aujourd’hui, ce
caractère n’est pas considéré comme divin, cependant la force, la bravoure de ce fauve sont toujours valorisées et admirées. Dans la province d’Avila, municipalité de El Tiemblo, au bord de la route,
loin de toute habitation, dans un enclos paisible couronné d’arbres, quatre magnifiques taureaux granitiques figés dans leur temps préromain, IV et IIIe siècles av. J-C, nous accueillent. Deux mille ans d’expression
du vent, de la pluie, du soleil les ont érodés, ce qui fait écrire au guide Michelin qu’ils sont grossièrement sculptés. C’est fort possible. Mais, si l’on ose affronter leur masse imposante et s’approcher
d’eux pour une intimité improbable, le regard repère le relief des plis du cou. En effet, sur deux statues, les plis sculptés ont traversé les millénaires sans perdre leur expressivité. La main ne peut s’empêcher
de glisser sur eux, avec la prétention ou l’émotion de créer un lien mystérieux entre le passé et le présent, ou de recevoir un tout petit peu l’énergie magique de ces dieux de pierre. D’autres
détails, comme les sabots, les organes génitaux, la queue, le poitrail caractéristique du taureau, et à la tête, les creux marquant l’emplacement des cornes, bien visibles, laissent supposer, de la part de leurs créateurs,
un souci du détail morphologique de ces animaux. Leur taille est imposante. Leur longueur varie de 264 à 277cm et leur hauteur de 129 à 145 cm. Le manque de contexte archéologique induit des interprétations diverses.
La plus probable est que ces statues jouaient le rôle de totems protecteurs des troupeaux, puisque la subsistance du peuple vetton, créateur de cette statuaire, dépendait de l’élevage. Une deuxième théorie présente
l’hypothèse qu’ils aient été érigés à des fins religieuses ou funéraires. En tant que visiteurs du XXIe siècle, deux possibilités s’offrent à nous : nous faisons
le tour de ces quatre sculptures rapidement et nous prenons congé, ou bien, assis à l’ombre du muret, et leur faisant face, nous nous octroyons l’idée saugrenue de converser avec eux dans le silence. Rêveuse, j’ai
opté pour la deuxième. Peut-être l’afición a los toros explique-t-elle ce désir étrange ? Quoi qu’il en soit, les instants vécus furent des instants suspendus dans le
temps. La sensibilité créatrice de l’artiste du passé, concrétisée dans la pierre millénaire, et malgré le travail d’érosion inexorable des éléments, réveille l’imagination,
cisèle un havre de paix, de sérénité qui change le regard errant, l’aiguise et le plonge dans un espace où l’expression de chacune de ces masses de pierre se révèle. L’observation
alanguie laisse le temps de parcourir lentement les contours. L’ombre et la lumière dévoilent les creux et les bosses façonnés par les éléments. Et, peu à peu, l’expression élaborée
par l’artiste vetton apparaît dans chaque statue. Le premier taureau, par sa corpulence impressionnante, doté d’une énorme tête, s’impose comme le chef, le patriarche du groupe. Sur le flanc droit,
une inscription est encore lisible : « LONGINUS PRISCO CALAET Q PATRI FC (Longino s’est chargé de faire (ce monument) pour son père Prisco, de los Calaéticos) ». Cette épigraphe, peut-être,
a-t-elle influé l’interprétation en tant que monument funéraire, d’autant plus que les quadrupèdes, alignés, ont leur avant dirigé vers l’ouest, point cardinal où le soleil se couche, et qui
a représenté pour les peuples anciens le lieu à honorer pour les morts. Son flanc gauche a un creux fort important. Il n’en faut pas plus pour que l’imagination galope, y voit une séquelle d’un combat bestial,
et visualise une scène où notre mâle granitique se serait mesuré avec une violence effrénée à un autre mâle pour conquérir le pouvoir du groupe, ou séduire une femelle. Le deuxième,
indifférent, tête penchée vers le sol, semble ne se préoccuper que de sa pitance. Le troisième, plis du cou presque à la verticale, vous regarde dans une attente ou un défi, épiant chacun de vos
gestes. Le quatrième, mufle rentré donnant au poitrail et au fanon un développement conséquent, plis du cou en demi arc, est prêt à l’attaque. Pour ce groupe de combattants quadrupèdes, l’absence
de cornes n’occulte pas l’expression de leur puissance, et nous laisse imaginer leur bravoure. Dans ce lieu où règnent ces taureaux figés dans leur puissance minérale, aujourd’hui isolé,
il y avait, dans le passé, une « Venta Juradera de los Toros de Guisando », c’est-à-dire une auberge où étaient reçus les serments décisoires. Et c’est dans ce modeste endroit que
fut signé le « Tratado de los Toros de Guisando ». Dans ce traité, le 19 septembre 1468, le roi Henri IV de Castille reconnaît sa sœur Isabelle de Castille, qui, plus tard, deviendra Isabelle la Catholique, en
tant que Princesse des Asturies et héritière du trône de Castille. Lieu de culte, lieu de pouvoir…Lieu d’une suprématie temporelle et spirituelle si prégnante qu’un traité, et non des moins
moindres, présage du futur royaume d’Espagne, celui que nous connaissons aujourd’hui. Los Toros de Guisando, dans la force de leur matière granitique, résistant aux assauts des éléments, restent les intercesseurs
des hommes entre la Terre et le Ciel, restent les messagers de l’Histoire du passé et du présent… Picaflor - 31 juillet 2020
Anecdote sur MAZZANTINI EN 1895
Silhouette longiligne, élancée, altière, un regard habillé d’un noir intense, profond, et pourtant, tout dans ce regard est empreint d’une douceur timide. Quand il parle, son léger
cheveu sur la langue augmente le velouté du flux de ses mots. Quand il parle, ses yeux ronds comme des calots ténébreux parcourent la circonférence de ses orbites, cherchant son espace, son terrain, semblable au toro qui, surgissant
dans l’arène, tourne le long des barrières en quête d’une compréhension. Le voilà, le voilà, le torero issu d’un milieu aisé, qui pouvait avoir devant lui,
rationnellement, un choix de chemins à suivre hors du danger des cornes, hors de la peur prégnante de ce combat, habitacle de vie et de mort, qu’est la corrida. Mais, lui, il a préféré son rêve…être
torero…et surtout un « glorieux » torero. Il a surgi dans le ruedo, non pas tel une brise légère de printemps, mais tel une rafale impétueuse balayant la place pour réaliser
ce qui, dans son for intérieur, l’anime, lui donne vie. Il est un rocher, dur, fort comme cette terre qui le porte, et du haut de ce rocher, il se sait roi. Dès ses
premières prestations, son toreo fougueux, dynamique, à l’unisson de sa jeunesse, subjugue le public. Son audace, sa témérité, son engagement, son placement dans le terrain de la bête, furent et sont toujours
source de frissons pour tous ceux qui se déplacent en grand nombre pour le voir. Certains l’ont qualifié de fou, d’autres de prétentieux, d’arrogant… Mais lorsque l’on
affronte le toro, peut-on être autre chose que cette distance du quotidien, cette force, ce courage qui animent votre corps, qui animent votre mental, et qui sont exprimés à l’aune de votre caractère ? Lorsqu’il est face au toro, il n’est plus ce jeune homme tranquille qui répond aux questions. Il est métamorphosé. Tout son corps, son regard se tendent vers l’animal. Arrimé à lui, dans une concentration
abyssale, il ne le lâche plus. Ses yeux noirs sont de vrais charbons ardents. Il déploie toute sa stratégie de dominateur. Son charisme, étincelant comme son habit, le plonge dans la lutte pour se surpasser, pour gagner et le trophée
et l’admiration du public. Et pour triompher, il est prêt à tout jusqu’à la déraison ! Est-il inconscient ? Négatif ! Ecoutez-le parler de sa façon d’être
dans l’arène, face au toro, de ce qu’il ressent, et vous entendrez les propos d’un jeune homme d’une grande maturité. Modestement et avec une grande lucidité, il vous parle de ses PEURS accrochées à
sa passion : peur de déplaire au public, peur de la cornade, peur de la mort… Et lorsqu’il les surmonte, il est heureux et heureux de vivre ! Il se construit ainsi une philosophie de vie qui lui permet de les transcender.
A la critique sur sa supposée inconscience, il répond acceptation de ces moments, où le hasard lui permet de réussir une prouesse pendant laquelle l’engagement est absolu, où la vérité
atteinte est absolue. « C’est, dit-il, comme jeter une pièce de monnaie en l’air, et pendant qu’elle tourne, faire le mieux possible afin que lorsqu’elle tombe, tu aies réussi. » Faire de ces instants de dramaturgie un pari, dans lesquels la notion d’inconnu est introduite, est une philosophie. Cette dernière peut nous paraître, au premier abord, inconcevable et pourtant, elle pourrait être un enseignement
sur la compréhension et l’acceptation de notre fragilité d’être vivant dans une société déterminée. Fragilité provoquée par la peur de l’inconnu :
nous souhaitons que tout soit prévisible même les humeurs du ciel… Fragilité induite par l’illusion que tout est assuré : nous sommes munis de tous les contrats d’assurance
tel un jeu de cartes… Mais est-ce pour autant que notre foi en nous-mêmes est assurée ? Est-ce pour autant que le chemin de vie que nous suivons est celui que nous avons choisi, et que nous
acceptons ? Ne sommes-nous pas ces êtres éphémères qui, à travers nos peurs, nos déceptions, nos joies, nos amours, nos doutes, cheminons en quête perpétuelle de nous-mêmes ? Que savons-nous
de notre Être le plus intime ? Alors, faut-il marcher sur le fil du rasoir, mettre en jeu sa vie, se confronter à la Mort tels les toreros pour obtenir des réponses, ou un semblant de réponse ?
A chacun sa quête, à chacun son chemin, à chacun son destin… Lui, Andrés Roca Rey, le torero de feu, dès qu’il revêt l’habit de lumière,
il se revêt de toute la vérité de son être, il se le doit à lui-même, au public et à l’animal. Pour lui, le toro donne sa vie, il doit donner la sienne. Et, peut-être
que le Temps, avec son Soleil et sa Pluie, permettra-t-il à cette pousse fougueuse de s’épanouir pour exprimer, dans son Toreo, un Temple al compás de son intériorité la plus vibrante ? Picaflor
- 8 février 2020
Un torero de feu
« Celui qui n’a pas peur n’est pas normal. Ça n’a rien à voir avec le courage » (Jean-Paul Sartre) C’est vrai, nous connaissons tous la peur tout au long de notre vie, avec
plus ou moins d’intensité selon notre caractère et notre parcours. On pourrait croire que certains sont hors d’atteinte parce qu’ils sont hors norme et unique tel le torero. C’est le seul être, dans notre
monde actuel, qui affronte une bête sauvage, tous les jours à certaines périodes, parvient à le dominer avec de la technique et souvent avec art et le met à mort. On pourrait penser qu’il s’y habitue à la
longue et pourtant… « Si Nadal (le tennisman) devait supporter ce que subissent les toreros, il ne toucherait pas une balle » dit Luis Francisco Espla. « Tu dois prendre en compte
la possibilité de mourir » avoue Jose Tomas. Quant à Morante il affirme que « quand le toro sort il n’y a plus de place pour l’introspection ». Il y a longtemps, Juan Belmonte
constatait que « la barbe pousse plus vite les jours de corrida à cause de la peur ». Paco Camino disait : « Nous connaissons tous la peur, ce qu’il faut c’est la dominer avec
le cœur, la tête, avec son âme, son ambition, avec la mauvaise humeur ». Les peurs sont plurielles : celle du toro, celle du public et de ses réactions violentes, celle de la bronca, celle de ne pas être
à la hauteur, de décevoir et « la peur d’avoir peur » (Procuna). Il y a une peur majuscule c’est celle de ne plus pouvoir toréer. Nous connaissons les facultés du torero
pour se remettre de ses blessures grâce aux constatations des médecins et chirurgiens taurins. Il en est surement de même pour la domination de la peur. A notre époque où tous les sportifs bénéficient de
l’accompagnement d’un coach, certains toreros se font aider dans leur préparation mentale. Maria Aguila de Domecq, veuve d’un des plus grands ganaderos Juan Pedro Domecq, psychopraticienne de métier dans le domaine du stress,
s’est consacrée au soutien et à la préparation mentale des toreros qui la contactent pour bénéficier de ses soins. Elle donne des précisions : grâce au progrès de la médecine et de l’imagerie
médicale on peut constater l’impact de la peur sur le cerveau d’un torero et constater qu’il est différent du commun des mortels. Par exemple il exploite les deux hémisphères du cerveau alors que nous avons tendance
à n’en utiliser qu’un seul. Ce qui explique qu’il aurait plus d’intuition. Sa chimie cérébrale est aussi différente car impactée par les coups de boutoir consécutifs de la peur qui provoquent
chez lui un cahot de neurotransmetteurs. Avec ces attaques d’anxiété le cerveau d’un torero est modelé par la peur depuis les premières étapes de sa vie de novillero. Chaque torero a probablement sa propre technique
pour surmonter cet état d’esprit et il faut bien reconnaître que c’est un être à part dans notre monde contemporain. Il doit être à 200% car outre la peur du toro, la pression du public, la compétition
lui ôtent la moitié de ses capacités. « Il doit être comme un samouraï et avoir une haute idée de lui-même » affirme Alejandro Talavante. « Une des premières
qualités à acquérir ? Être capable de dormir en voiture » dit Paquito Leal, directeur de l’Ecole Taurine d’Arles. Toréant un jour dans une ville, il doit arriver frais et dispo pour un autre
contrat, des centaines de kilomètres plus loin. « Être torero c’est traiter par le mépris tout ce qui affecte le reste des autres hommes » Francis Wolff. Mon admiration pour ces hommes
et ces femmes qui exercent cet art, m’ont habité et interrogé tout le long de ma vie d’aficionada. Hors de question, pour moi, de manifester la moindre hargne lorsque le résultat n’est pas à la hauteur de mon attente,
j’ai trop de respect pour celui qui se joue la vie. J’ai constaté que l’intrépidité qui habitait le torero masquait surement son angoisse et le rendait plus humain. Je suis choquée par les vociférations
et les insultes proférées par certain public déçu par la prestation du torero. Ce dernier est suffisamment affecté par son échec. Peut-être penserez vous à tout cela lorsque vous assisterez à
une corrida ? La Chicuelina - février 2020
Le torero et la peur
Introspection - Terre cuite d' AG
Winston Churchill disait : « Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. » Vous devez penser, mais que vient faire Winston Churchill, dans un article
sur la tauromachie. Eh bien, au cours d’une de mes lectures, je relève les paroles de ce ministre anglais au physique ventripotent, grand amateur de whisky, fort célèbre de par son action de stratège durant la seconde guerre
mondiale. (Petite information pour les plus jeunes qui ont oublié leurs cours d’histoire.) Les paroles de cette célébrité politique raisonnent en moi et font resurgir des moments de réflexion vécus lors
de corridas. Dans les règles de l’art, une bonne faena suivie d’une mise à mort réussie est couronnée par l’accord d’un ou plusieurs trophées. Sur le plan rationnel, il faut bien une règle
pour régir la rencontre. En outre, les toreros ont besoin de ces trophées lesquels leur permettent de signer des contrats. Enfin, voilà, c’est comme des bons points…Plus vous en avez, plus vous gagnez, logique, non ?
Cependant, si l’on se place sur le plan des valeurs, pour cette rencontre insolite entre un fauve et un homme, enlacée par la vie et la mort, n’est-il pas dommage de s’en tenir souvent qu’aux trophées, lesquels influencent
les appréciations du public ? Heureusement, aficionados avertis et/ou organisateurs gardent en mémoire le déroulement complet d’une prestation, et pas seulement l’échec à l’épée. En
effet, la corrida est une rencontre entre deux êtres vivants et par là même aléatoire. La réussite dans ce combat dépend d’une conjonction de paramètres, du côté de l’homme, disposition
physique et mentale, du côté de la bête, disposition physique et caractères. Les faenas sont également diverses les unes des autres en raison du style même des toreros : classique, baroque, statuaire, guerrier
etc… La rencontre, qu’elle soit « toriste » ou « toreriste », comme le milieu taurin aime à préciser cette différenciation, est une expression artistique qui crée une œuvre
qui engendre une palette d’émotions. Et durant toutes ces faenas, l’attitude des toreros, qu’ils soient célèbres ou débutants, revêt les mêmes spécificités. Ces combattants
se forment dans cette école de vie qu’est la corrida, dans laquelle courage, abnégation, ténacité, audace, sincérité, respect, volonté, créativité en sont les composantes. C’est dans
ces valeurs que le torero trempe en permanence pour devenir le héros de quelques minutes, d’un jour, d’une saison, d’une vie…et tout simplement pour devenir, s’il le peut et s’il le veut, un être humain droit
et respectueux dans sa vie. Une autre valeur vient s’ajouter aux précédentes et nimbe la personnalité du torero : l’humilité. Un après-midi d’avril, j’assiste à une corrida
où deux célébrités se produisent. Les figuras, Sébastien Castella et Miguel Angel Perrera, sont en pleine possession de leurs moyens physiques et artistiques, en exercice régulier de leur profession. Devant les toros
des élevages de Vegahermosa et Jandilla répondant aux défis, ils réalisent dans leur style statuaire, de superbes faenas au capote et à la muleta. Le corps à corps qu’ils vivent l’un comme l’autre
avec le fauve est impressionnant. M.A Perrera, par deux fois, pour éviter la corne écarte subrepticement sa jambe, soulevant dans les gradins des exclamations de frisson. Le temple et l’aguante des deux diestros avec la muleta est émouvant.
Le rythme soutenu qu’ils exercent dans leur prestation révèle la compétition qui se crée entre eux. C’est magnifique ! Les trophées peuvent tomber ! Mais… le dernier acte se joue d’eux.
Les épées faillent. Le toro résiste à leur triomphe, exigeant les descabellos pour donner son dernier souffle. (Seul, S. Castella obtient une récompense à son deuxième toro.) Au moment de leur insuccès,
aucun geste d’emportement traduit leur frustration. Le corps tendu, réprimant peut-être la colère, ils restent droits dans leur espace affrontant la déception dans la dignité des grands guerriers. Le visage est impassible,
pudique de toute expression. Parfois, on peut entrevoir un léger hochement de la tête en signe de mécontentement. L’un comme l’autre, héros de quelques minutes, ils ont placé leur vie dans le plateau de la balance
de la rencontre, et ils regagnent le callejon dans le silence de leur échec. Malgré leur notoriété, là, dans l’arène, pas de caprice, pas de plainte, ils ne sont qu’humilité. Le dictionnaire
« Le Robert » propose cette définition : « sentiment de sa propre insuffisance qui pousse à réprimer tout mouvement d’orgueil. » Et peut-être leur silence est-il plein
de leur orgueil blessé ? Eux, seuls, peuvent le dire. Le mot « humilité » vient du latin « humilitas » et a pour racine « humus » qui signifie
« terre ». Cela explique-t-il ce trait de caractère si réaliste du torero qui, lorsqu’il trace son passage sur la terre des arènes, ne peut se permettre aucune tricherie avec lui-même ?
Cette discipline dans le comportement caractérise les aguerris comme les débutants. Toute leur vie de torero est jalonnée de beaucoup d’échecs et surtout à la mise à mort. Le ratio entre succès et échecs
n’est pas à l’équilibre. Est-ce pour cela qu’ils deviennent des êtres au caractère trempé dans l’acier de leur épée ? Est-ce également pour cela qu’ils deviennent
des êtres d’une grande force physique et morale ? Et n’est-ce pas là que réside leur triomphe, dans l’humilité ? Ces interrogations
suscitent le souvenir des paroles d’un sage chinois du VIe-Ve s avant J-C, Lao-Tseu, qui disait : « L’humilité sert à agir avec puissance. »
Picaflor - 27 janvier 2020
Triompher…
(Les mots en italique sont de la chanson occitane « Lo dia, Maria » (Le jour, Marie) de NADAU) « Le jour, Marie, s'est mangé la nuit. » Et
la voiture file avalant les derniers kilomètres. Le silence des restes de nuit hante l'habitacle. Et peu à peu, dans le cœur des hommes, s'installe le silence de demain.
« Il faut jeter le blé à
l'espérance. » Espérer que tout se passe bien. Espérer que les toros soient beaux et nobles. Espérer que le Maestro soit en forme, inspiré. Espérer que sa muleta accueille avec aguante
et temple la charge du fauve.
« Le jour, Marie, s'est mangé la nuit.» Le rituel de l'habillage impose les mots rares, murmurés. Le geste de toujours essaie de conjurer la peur. Les murs de la chambre
abritent une cérémonie du corps et de l'esprit.
« Il faut jeter le blé à l'espérance » A Marie, le torero confie son cœur et son âme. Dans la fraîcheur du patio,
empli de l'odeur âcre des chevaux, Il se vide de toutes choses, il se vide du passé et du futur, Pour n'être que Celui du présent qui va au combat.
« Le jour, Marie, s'est mangé la nuit.» La lumière est blanche, l'air brûle et le sable crisse… Au premier cercle du destin, un arrêt, un arrêt pour tracer le signe de l'espérance. Calme, les pas habillés de rose, brodés de l'épi
de blé, il avance.
« Il faut jeter le blé à l'espérance.» Observer la bête, chercher à la comprendre… L'affronter avec sincérité, crainte et respect, Sans jamais oublier, pas même un seul instant, Que cette rencontre mystérieuse est toujours dans l'ombre de la mort…
« Il faut jeter le blé à l'espérance.» Picaflor - 11 août 2019
...jeter le blé à l'espèrance
Badajoz…Jour de fête…Jour de corrida…Arrivée insolite… Une R6 dans sa simplicité populaire, étincelante de sa blancheur du passé, s’ouvre un passage
pour atteindre les arènes. A l’intérieur, trois silhouettes scintillantes de leur destin hors norme confèrent à cet aréopage un caractère surprenant, presque incongru… Oh, non ! quand même !
un torero, qui dans nos esprits est à l’effigie d’un héros, un torero arrive dans un grand véhicule ou dans une voiture de luxe, ou dans une calèche…mais, pas dans une R6, même si elle peut être répertoriée
voiture ancienne. La R6, vous savez, la petite berline des années 70, voiture basique, pratique, économique qui n’a jamais éveillé l’admiration ni l’envie par son manque d’esthétique ! Ce
lundi 24 juin, à Badajoz, l’image fait sourire. Néanmoins, en la regardant, derrière mon amusement, j’ai ressenti une pointe d’étrangeté, de curiosité…La suggestivité des images n’est
plus à démontrer. Dans notre monde de communication visuelle, la publicité l’exploite à tout va. Mais avant elle, grâce à la peinture, à la sculpture, à l’utilisation de la caméra et
à bien d’autres expressions, les artistes se sont exprimés, ont parlé au Monde, ont parlé du Monde, réveillant des émotions, des rêves, des interrogations humaines, sociales, politiques… Et
là, cette image interpelle, ne laisse pas indifférent. Pour comprendre, revenons en arrière. Antonio Ferrera a connu une carrière chaotique dessinée par des corridas dures. A Badajoz, le 14 mai, il se jette d’un
pont. Il se jette dans les bras de la dame blanche qui desserre son étreinte. Ce n’est pas son heure. Et l’on peut se demander ce qu’elle a bien pu lui susurrer à l’oreille ou au cœur, car le torero est Autre ou
bien reconnecté à son être le plus profond, le plus intime…Car, le 1er juin, seulement quinze jours suivant ce que l’on qualifie de drame, dans les arènes intransigeantes de Madrid, accouplé à
« Bonito » de Zalduendo, il réalise la plus belle et la plus inspirée faena de sa carrière. Lui, le torero taxé de « pueblerino » (tout juste bon à charmer le public
des villages), tel le phoenix, renaît de ses cendres, encensé, glorifié par la presse. « Pueblerino », mot-clé que va symboliser la superbe R6. Antonio Ferrera assume son destin et le
clame ! Le samedi 22 juin, Antonio Ferrera arrive aux arènes de Badajoz dans son carrosse, la R6. Avec des passes longues, expressives et très liées, ponctuant une faena éblouissante d’improvisation, il gracie
« Jilguero » de Victoriano del Rio. Triomphe ! Le lundi 24 juin, dans cette même place, il est au programme avec l’élevage de Zalduendo. Superstition respectée… Il réitère et
se déplace dans sa R6. Magnanime, le torero aguerri emmène avec lui les deux autres jeunes toreros, Ginés Marín et David de Miranda, les plaçant ainsi sous les auspices de la petite berline. On croirait un début de
film à la Walt Disney ou à la Steven Spielberg. Et la petite R6 jette son dévolu magique sur les trois diestros. Antonio Ferrera répète ses prouesses dans une faena des plus inspirées, pleine d’émotions,
et gracie « Juguete », Ginés Marín coupe deux oreilles, et David de Miranda reçoit une ovation et une oreille. Le trio de lumière s’en retourne les bras chargés de trophées et chose peu
courante voire très rare, deux toros graciés dans une feria de trois jours. Alors oui, ce lundi 24 juin, dans le véhicule de la modestie de leur cœur, le trio rutilant de ses prouesses fait le buzz ! Désir de rompre
avec la pesanteur des codes, avec les préjugés, avec la superficialité sociale…Désir de défier ceux qui n’ont pas cru en eux…Désir de défier les injustices…Désir de montrer
ce qu’ils sont réellement, sans artifice dans la vie quotidienne comme devant les toros... L’instigateur–conducteur de la très dorénavant célèbre R6, Antonio Ferrera, chef de lidia, pourrait nous en conter
un peu plus, ou non, car parfois, le sens de nos actions dépasse notre première intention, de surface, révélant ainsi les coulisses de notre inconscient. En effet, la situation expose un contraste détonnant entre la
simplicité du véhicule et ses passagers vêtus d’un habit chargé d’or, d’un habit d’un autre ailleurs. Situation métaphorique grâce à laquelle ces hommes, dont le destin est lié à
celui des fauves, nous révèlent les différentes facettes du prisme de leur vie si particulière, voire extraordinaire : simplicité, vulnérabilité, humilité, force et grandeur d’âme…
Enfin, on ne saura jamais qui de la R6 ou du talent des matadors ou de la noblesse des élevages a permis la victoire, peut-être est-ce un mélange des trois ? …Ah ! Les Artistes ! Et la légende peut
s’écrire… Picaflor - Juin 2019
AH ! LES ARTISTES !
Les années 1990 resteront une époque remarquable pour les nombreuses novilladas qui remplissaient les arènes alors. Pléthore de jeunes novilleros les plus doués faisaient courir l’afición.
Et il fallait s’appeler Simon Casas pour faire couvrir d’une bulle les arènes de Nîmes et créer un engouement nouveau chez l’aficionado engourdi par l’hiver. Ce nouveau lieu connut un succès retentissant et
une feria de novilladas naquit en février à la grande joie de l’afición, en sommeil habituellement à cette époque de l’année. Marcos Sanchez Mejías, Manuel
Caballero, Antonio Manuel Punta, Erick Cortes, Denis Loré, Bernard Marsella, San Gilen, cette liste vous parle ? Trois noms se détachaient cependant dans un cartel sans cesse renouvelé : Finito de Cordoba, Jesulín de Ubrique
et Chamaco. Finito revenu sur scène, a le vent en poupe en ce moment, avec des succès retentissants, il est l’heureuse doublure d’Enrique Ponce qui se trouve sur le banc de touche par un coup du sort malheureux. Jesulín de
Ubrique revient prudemment mais sans éclat. Quant à Chamaco il fut l’évènement prometteur de la feria d’Arles à Pâques 2019 avec les toros de Jandilla et Vegahermosa. N’ayant plus toréé
depuis vingt ans ce ne fut pas facile de revenir en piste… Loin du jeune torero, bouillant, excentrique, à la mèche rebelle, aux gestes électriques qui avait séduit l’aficionado en
mal de nouveauté, voilà un quasi quinquagénaire, un peu enrobé, certes malicieux et heureux de retrouver son public mais cherchant ses marques avec difficulté pour être « a gusto » avec son partenaire
qui ne collabore pas particulièrement… Nous savons que la tauromachie est un art plutôt difficile qui exige une lourde discipline. Cependant à son second adversaire la confiance revenue, nous avons entrevu les facéties du
novillero rocker d’il y a des années. Une voltereta enclencha les hostilités, réveillant les tendidos avec la gestuelle coléreuse de l’époque ! Le torero vétéran s’agenouilla
pour une série qui fit lever les tendidos, déclencha les OLE et CHAMAACOOO... d’antan. Avec un humour pétillant il réveilla les émotions passées et la nostalgie qui firent jaillir les mouchoirs. Malgré
les protestations des « toujours les mêmes empêcheurs de toréer en rond » un président indulgent obtempéra. L’oreille protestée fut vite escamotée par le maestro lucide mais heureux
qui donna la vuelta sous les acclamations du public le fêtant très justement. Chamaco entré dans l’histoire dans les années 1990 y retourna pour rester définitivement dans nos mémoires. Par ailleurs, le jeu intéressant des Jandilla-Vegahermosa donna une excellente Tarde pascale où le capote fut roi. Un mano à mano de quites entre Castella et Perera anima toutes les prestations. Sébastien
traverse une période de plénitude où son toreo atteint des sommets. Les deux oreilles à son second toro auraient doublé avec un coup d’estoc réussi car la première faena était encore plus
aboutie que la seconde. Miguel Angel Perera afficha une solide démonstration toute en grâce et fluidité devant ses adversaires, hélas sans aciers… La
Chicuelina 29 avril 2019
Séquence nostalgie
Quel est ce vent mystérieux qui souffle sur le monde tauromachique ? Quel est cet enchantement qui incite de jeunes gens à vouloir construire une vie sur une succession de dix minutes d'affrontement avec
un toro ?
Dans le passé, pauvre, sans le sou, « alpargatas » aux pieds, il était le « maletilla », le jeune qui aspirait à devenir torero. Il marchait, solitaire, sur un chemin de chaleur, de poussière,
de cailloux. Baluchon à l'épaule, il cheminait vers son destin, un destin rêvé depuis si longtemps. A la nuit tombée, il dormait contre un talus ou sous un arbre. Il regardait les étoiles avec espoir, les yeux brillants
de faim. Il voulait devenir torero et un grand torero, une « figura » comme on dit… Accéder à la gloire, et avec elle, à la musique si réconfortante de la richesse…effaçant les couleurs et
les odeurs de la misère. Il n'était plus ce rien de la société. Il a réussi à grimper l'échelle de sa liberté. Chaque barreau franchi a exigé de lui du courage, de l'audace. Sautant dans les
enclos privés, il a volé des passes à la bête. Il a reçu sans fléchir ses coups. Il a ressenti ces peurs qui maintiennent pour une seconde le cœur en apnée, parce que seul, poussé par une fièvre
révolutionnaire de changer sa vie, son destin, il affrontait le toro. Il lui parlait avec pour seul langage un chiffon et la nudité de son corps … Mais le combat avec la bête n'était pas le seul combat… Il est
entré dans l'arène du Mundillo dont les codes lui étaient inconnus et qui, par ailleurs, ne l'intéressaient guère. Il n'avait qu'une idée en tête : toréer, toréer… Devant les obstacles, il
a serré les dents les faisant crisser de rage contenue. Devant les rejets, il a puisé au plus profond de ses tripes le courage, la ténacité, la pugnacité de continuer, de croire en soi pour démontrer que ce combat
de la vie et de la mort était son combat. Avancer coûte que coûte, devenir ce demi-dieu de lumière offrant une création intemporelle qui touche chaque spectateur au plus profond de lui-même.
De nos jours,
il n'a pas faim, il joue sur des consoles, ou ses yeux sont fixés sur le portable. Il reçoit une instruction, va au collège, au lycée. Son rêve le mène à l'inscription dans une école de tauromachie où
d'autres jeunes, comme lui, s'entraînent dans un cadre défini, sécurisant. Un professeur, un ancien torero, lui transmet son savoir, l'initie aux arcanes de la rencontre avec le fauve. Avec ses camarades, avec « carreton »,
capes et muletas, il apprend l'A.B.C du toreo. Des associations ou des éleveurs organisent des tientas durant lesquelles il se mesure à des vaches, apprend à ressentir le combat avec la bête. Parfois la famille, les amis l'accompagnent,
(et pour quelques-uns, fort rares au demeurant), le soutiennent financièrement et moralement.
Qu'il est loin le « maletilla », ancêtre du torero…
Des décennies séparent ces deux univers si
différents, et pourtant… et pourtant… la même passion ! Et les mêmes obstacles à surmonter dans l'arène du Mundillo…
La passion du premier nous serait compréhensible. Pour échapper,
sortir de la misère, on essaie tout… Mais n'y a-t-il que la faim qui pousse à mettre en jeu sa vie dans une arène ?
Dès lors, le deuxième, à la vie plus ou moins confortable suivant son appartenance
sociale, nous démontre qu'une énigme profonde instillée dans les fibres les plus intimes de l'être, pousse ces jeunes à se mettre devant le terrible fauve aux cornes acérées, les pousse à se jouer la vie.
Au XXI ième siècle, connectés en permanence à Internet, rivés à leur portable, des jeunes rêvent d'affronter un fauve d'une demi-tonne de muscles. Un animal qui, s'ils tombent au sol, ne les épargnera
pas, mais les labourera, les éventrera. Néanmoins, ils veulent toréer, ils veulent se présenter devant le fauve et créer avec lui une œuvre des plus étranges…Une oeuvre qui les dépasse, les transcende
et en même temps transcende le spectateur…
Alors, de quel sortilège sont-ils le jouet ? Ou bien, sont-ils les élus d'une force mystérieuse au-delà de l'entendement de notre simple quotidien ?...
Ils nous parlent de « PASSION ». Mais quelle est cette passion étrange d'une autre dimension, d'un autre monde ?… Monde intérieur de l'indéfinissable, de l'indescriptible, monde de l'éther, monde céleste
qui incite à offrir sa vie pour flirter avec la Dame Blanche?
Ils sont jeunes, avec encore les traces de l'adolescence révolue… Et ils cambrent les reins. Torse bombé de l'amplitude de leurs désirs, ils portent
fièrement l'habit scintillant de leurs rêves. Ils sentent en eux les prémices de leur métamorphose en un dieu de l'arène… Sortir de sa chrysalide sera long, contraignant, douloureux… Quel homme-dieu deviendront-ils?...
Seuls, dans l'intimité de leur corps et de leur âme, ils ressentent la force qui est lovée au plus profond d'eux-mêmes…
Un souffle mystérieux enveloppe ces jeunes au cœur à la fois tendre d'âge
et trempé à l'acier de l'épée transgressive… Peut-être ne peuvent-ils être compris que comme peuvent l'être le peintre devant sa toile, le sculpteur devant son matériau ou le performeur ne faisant
qu'un avec son œuvre ? Quel que soit le temps présent, l'artiste est là. Il naît et meurt avec son temps en le traversant de sa puissance créatrice au service de l'évolution civilisatrice des hommes sur terre.
Il est là …et son message est pour aujourd'hui et demain…
Novilleros, Novilleras, Toreros, Toreras… je les admire…je les admire… L'œuvre d'art, réussie ou non, qu'ils accomplissent à
chaque toréo, donne tout son sens à ma vie sur terre, une vie qui n'a de sens que parce qu'elle meurt. Le courage, l'abnégation dont ils font preuve face au fauve éveillent en moi l'humilité de ma vie, tel un grain de sable
balloté par les flots. Et lorsque l'artiste-torero, et son partenaire, le toro, réalisent une faena exceptionnelle, de ces faenas qui suspendent les souffles dans l'air, une faena durant laquelle le cœur grossit d'émotions à
la fois intenses et subtiles, ils vous offrent, pour un instant (et quel instant !), un bouquet sublime aux senteurs et couleurs de la vie éternelle que vous accueillez par une explosion de joie pure irriguant tout votre corps.
Et un vent
mystérieux souffle… Et un vent mystérieux souffle et drape la tauromachie de ce qui fait d'elle une œuvre civilisatrice…
Un vent mystérieux souffle… Picaflor
- 28 avril 2019
GRAINES DE PASSION
Palomo Linares
Quel est ce vent mystérieux qui souffle sur le monde tauromachique ? Quel est cet enchantement qui incite de jeunes gens à vouloir construire une vie sur une succession de dix minutes d'affrontement avec
un toro ?
Dans le passé, pauvre, sans le sou, « alpargatas » aux pieds, il était le « maletilla », le jeune qui aspirait à devenir torero. Il marchait, solitaire, sur un chemin de chaleur, de poussière,
de cailloux. Baluchon à l'épaule, il cheminait vers son destin, un destin rêvé depuis si longtemps. A la nuit tombée, il dormait contre un talus ou sous un arbre. Il regardait les étoiles avec espoir, les yeux brillants
de faim. Il voulait devenir torero et un grand torero, une « figura » comme on dit… Accéder à la gloire, et avec elle, à la musique si réconfortante de la richesse…effaçant les couleurs et
les odeurs de la misère. Il n'était plus ce rien de la société. Il a réussi à grimper l'échelle de sa liberté. Chaque barreau franchi a exigé de lui du courage, de l'audace. Sautant dans les
enclos privés, il a volé des passes à la bête. Il a reçu sans fléchir ses coups. Il a ressenti ces peurs qui maintiennent pour une seconde le cœur en apnée, parce que seul, poussé par une fièvre
révolutionnaire de changer sa vie, son destin, il affrontait le toro. Il lui parlait avec pour seul langage un chiffon et la nudité de son corps … Mais le combat avec la bête n'était pas le seul combat… Il est
entré dans l'arène du Mundillo dont les codes lui étaient inconnus et qui, par ailleurs, ne l'intéressaient guère. Il n'avait qu'une idée en tête : toréer, toréer… Devant les obstacles, il
a serré les dents les faisant crisser de rage contenue. Devant les rejets, il a puisé au plus profond de ses tripes le courage, la ténacité, la pugnacité de continuer, de croire en soi pour démontrer que ce combat
de la vie et de la mort était son combat. Avancer coûte que coûte, devenir ce demi-dieu de lumière offrant une création intemporelle qui touche chaque spectateur au plus profond de lui-même.
De nos jours,
il n'a pas faim, il joue sur des consoles, ou ses yeux sont fixés sur le portable. Il reçoit une instruction, va au collège, au lycée. Son rêve le mène à l'inscription dans une école de tauromachie où
d'autres jeunes, comme lui, s'entraînent dans un cadre défini, sécurisant. Un professeur, un ancien torero, lui transmet son savoir, l'initie aux arcanes de la rencontre avec le fauve. Avec ses camarades, avec « carreton »,
capes et muletas, il apprend l'A.B.C du toreo. Des associations ou des éleveurs organisent des tientas durant lesquelles il se mesure à des vaches, apprend à ressentir le combat avec la bête. Parfois la famille, les amis l'accompagnent,
(et pour quelques-uns, fort rares au demeurant), le soutiennent financièrement et moralement.
Qu'il est loin le « maletilla », ancêtre du torero…
Des décennies séparent ces deux univers si
différents, et pourtant… et pourtant… la même passion ! Et les mêmes obstacles à surmonter dans l'arène du Mundillo…
La passion du premier nous serait compréhensible. Pour échapper,
sortir de la misère, on essaie tout… Mais n'y a-t-il que la faim qui pousse à mettre en jeu sa vie dans une arène ?
Dès lors, le deuxième, à la vie plus ou moins confortable suivant son appartenance
sociale, nous démontre qu'une énigme profonde instillée dans les fibres les plus intimes de l'être, pousse ces jeunes à se mettre devant le terrible fauve aux cornes acérées, les pousse à se jouer la vie.
Au XXI ième siècle, connectés en permanence à Internet, rivés à leur portable, des jeunes rêvent d'affronter un fauve d'une demi-tonne de muscles. Un animal qui, s'ils tombent au sol, ne les épargnera
pas, mais les labourera, les éventrera. Néanmoins, ils veulent toréer, ils veulent se présenter devant le fauve et créer avec lui une œuvre des plus étranges…Une oeuvre qui les dépasse, les transcende
et en même temps transcende le spectateur…
Alors, de quel sortilège sont-ils le jouet ? Ou bien, sont-ils les élus d'une force mystérieuse au-delà de l'entendement de notre simple quotidien ?...
Ils nous parlent de « PASSION ». Mais quelle est cette passion étrange d'une autre dimension, d'un autre monde ?… Monde intérieur de l'indéfinissable, de l'indescriptible, monde de l'éther, monde céleste
qui incite à offrir sa vie pour flirter avec la Dame Blanche?
Ils sont jeunes, avec encore les traces de l'adolescence révolue… Et ils cambrent les reins. Torse bombé de l'amplitude de leurs désirs, ils portent
fièrement l'habit scintillant de leurs rêves. Ils sentent en eux les prémices de leur métamorphose en un dieu de l'arène… Sortir de sa chrysalide sera long, contraignant, douloureux… Quel homme-dieu deviendront-ils?...
Seuls, dans l'intimité de leur corps et de leur âme, ils ressentent la force qui est lovée au plus profond d'eux-mêmes…
Un souffle mystérieux enveloppe ces jeunes au cœur à la fois tendre d'âge
et trempé à l'acier de l'épée transgressive… Peut-être ne peuvent-ils être compris que comme peuvent l'être le peintre devant sa toile, le sculpteur devant son matériau ou le performeur ne faisant
qu'un avec son œuvre ? Quel que soit le temps présent, l'artiste est là. Il naît et meurt avec son temps en le traversant de sa puissance créatrice au service de l'évolution civilisatrice des hommes sur terre.
Il est là …et son message est pour aujourd'hui et demain…
Novilleros, Novilleras, Toreros, Toreras… je les admire…je les admire… L'œuvre d'art, réussie ou non, qu'ils accomplissent à
chaque toréo, donne tout son sens à ma vie sur terre, une vie qui n'a de sens que parce qu'elle meurt. Le courage, l'abnégation dont ils font preuve face au fauve éveillent en moi l'humilité de ma vie, tel un grain de sable
balloté par les flots. Et lorsque l'artiste-torero, et son partenaire, le toro, réalisent une faena exceptionnelle, de ces faenas qui suspendent les souffles dans l'air, une faena durant laquelle le cœur grossit d'émotions à
la fois intenses et subtiles, ils vous offrent, pour un instant (et quel instant !), un bouquet sublime aux senteurs et couleurs de la vie éternelle que vous accueillez par une explosion de joie pure irriguant tout votre corps.
Et un vent
mystérieux souffle… Et un vent mystérieux souffle et drape la tauromachie de ce qui fait d'elle une œuvre civilisatrice…
Un vent mystérieux souffle… Picaflor
- 28 avril 2019
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